Annie Ernaux, prix Nobel de Littérature 2022

Annie Ernaux est une écrivaine que j’apprécie beaucoup. J’aime la variété des styles que l’on retrouve dans ses écrits : Journal intime, récits romanesques, textes autobiographiques.

C’est une amie, Hélène C., qui m’a parlé de cette écrivaine lors d’une discussion sur les écrivaines que nous aimions particulièrement. Je parlais de Proust et elle m’a suggéré de lire les textes d’Annie Ernaux. J’ai tellement aimé son oeuvre que j’ai écrit plusieurs pages de textes au moment de mes lectures. Je fouille mon dossier consacré à l’écrivaine et je découvre que ces notes ont été écrites en 2012, en 2013 et en 2016. Je me permettrai de placer dans mon article quelques unes des pages que j’apprécie et qui me semblent importantes pour le but de cet article qui est de vous faire découvrir Annie Ernaux et de vous donner le goût de découvrir son oeuvre.

J’estime que la meilleure façon d’aborder est de consulter le livre Écrire la vie, de l’édition Quarto, publiée chez Gallimard.

Les volumes de cette collection sont habituellement consacrés à des auteurs décédés et cette édition est une exception. On y retrouve des textes importants de l’écrivaine et les écrits sont précédés de 100 pages de photos personnelles accompagnées d’extraits du Journal intime inédit comme on peut le lire en quatrième de couverture. Je me permettrai de vous voir quelques images de tirées de ces 100 pages.

Deux citations que l’on retrouve en quatrième de couverture :

« Écrire n’est pas pour moi un substitut de l’amour, mais quelque chose de plus que l’amour ou la vie. » 15 janvier 1963

« Cette sensation terrible, toujours, d’être à la recherche de l’écriture « inconnue », comme cela m’arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois le temps passer, nécessité d’écrire contre le temps, la vieillesse. » 3 août 1990

Et la plus longue citation de cette quatrième de couverture qui explique toute l’importance du titre et le sens de l’oeuvre de l’écrivaine :

« Écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil. Je n’ai cherché à m’écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me suis servie d’elle, des événements, généralement ordinaires qui l’ont traversée, des situations et des sentiments, généralement qu’il m’a été donné de connaître, comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre à jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible. » juillet 2011

Littérature et vie

Qui a lu le moindrement les textes d’Annie Ernaux, réalise que ce thème – je ne sais trop si ce sont les meilleurs mots – est vraiment important. La littérature et la vie, il me semble que dans son oeuvre c’est quelque chose qu’il est  bien difficile de ne pas les relier. Un premier court passage :

« Je n’aime réellement qu’écrire, parce que c’est retenir la vie. »

Je veux aborder ce thème en reprenant un article que j’ai écrit en 2016.

Une préparation pour l’émission de deux heures consacrée à Annie Ernaux

Je voulais relire Mémoire de fille d’Annie Ernaux, une façon comme une autre, après avoir fouillé les deux textes Passion simple et Se perdre, relire,  pour tenter de connaître davantage l’univers de l’écrivaine.

C’était donc une préparation pour cette émission que j’ai vraiment hâte de voir dimanche prochain.

Je retiens spécialement la difficulté que fut la sienne d’écrire ce livre. Il est paru en 2016 et on peut lire des passages du moment de l’écriture en 2014. Elle y raconte l’histoire d’une jeune fille de 18 ans qui devient monitrice dans un camp de vacances et sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. 

Un livre qu’il lui est difficile d’écrire. La quatrième de couverture le confirme dans le premier paragraphe où l’on peut lire :

« J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.

On retrouve souvent dans l’oeuvre de l’écrivaine cette distanciation entre les événements et le moment de l’écriture. Il en est ainsi avec Passion simple et Se perdre. C’est vraiment significatif pour ce dernier titre. Elle a tenu un journal intime pour décrire cette aventure avec un diplomate russe qui a débuté en 1988, et Se perdre a été publié en 2001.

Un long passage significatif qui fait bien ressortir cette façon de faire de l’écrivaine à la page 57 de Mémoire de fille :

« Dans cette hypothèse, je considère la fille de S avec le regard d’aujourd’hui ou, hormis l’inceste et le viol, rien de sexuel n’est condamnable, où je lis sur Internet « Vanessa va rejoindre un hôtel échangiste pour ses vacances ». Ou alors adopter le point de vue de la société française de 1958 qui faisait tenir toute la valeur d’une fille dans sa « conduite », et dire que cette fille a été pitoyable d’inconscience et de candeur, de naïveté, lui faire porter la responsabilité de tout? Devrais-je alterner constamment l’une et l’autre vision historique – 1958/2014? Je rêve d’une phrase qui les contiendrait toutes les deux , ans heurt, simplement par le jeu d’une nouvelle syntaxe. »

La vie n’a pas toujours été facile pour Annie Ernaux. Ce qui s’est passé en 1958 a eu lieu dès le début de son séjour à la colonie. On s’est moqué d’elle tout au long de son séjour à ce camp. Il y aura aussi cet avortement clandestin en 1964. 

En écrivant ce texte 56 ans après ce camp de vacances elle tient les propos suivants à la page 56 du roman :

« Au fur et à mesure que j’avance, la sorte de simplicité antérieure du récit déposé dans ma mémoire disparaît. Aller jusqu’au bout de 1958, c’est accepter la pulvérisation des interprétations accumulées au cours des années. Ne rien lisser. Je ne construis pas un personnage de fiction. Je déconstruis la fille que j’ai été. 

Mais la vie continue et en 1958-1959, elle suit son année de philo au couvent d’Ermemont, à Rouen. Le premier passage de la page 80 de Mémoire de fille :

Mais la vie continue et en 1958-1959, elle suit son année de philo au couvent d’Ermemont, à Rouen. Le premier passage de la page 80 de Mémoire de fille :

« C’est une photo carrée de cinq à six centimètres à bords dentelés en noir et blanc. De droite à gauche, on voit, alignés contre une cloison à lattes verticales, un lit à barreaux de métal et tout contre, une petite table rectangulaire en bois avec un tiroir. »

En lisant ce texte je me suis dis j’ai déjà vu cette photo et elle se retrouve en effet à la page 45 de l’édition Quarto de Gallimard. 

Si vous regardez attentivement notez bien ces mots :

« Toute la tristesse jamais effacée de 58, l’horreur de vivre. Penser à cela maintenant, c’est le trou. L’indicible de ce temps, effleuré dans « Ce qu’ils disent ou rien », mais est-ce que je pourrais le dire en lui-même? Plutôt dans une suite d’images, dans le récit d’une vie, la mienne – et pas la mienne -. Douleur perpétuelle de Rouen, du retour a Rouen. » Octobre 1994

Cette date doit correspondre à un passage de son journal. Une fois de plus à cette date, elle revient à cet événement de 1958. Et je complète avec ce premier paragraphe de Mémoire de fille.

« Si j’accepte de mettre en doute la fiabilité de ma mémoire, même la plus implacable, pour atteindre la réalité passée, il n’en demeure pas moins ceci : c’est dans les effets sur mon corps que je sais la réalité qui a été vécue à S. »

Un autre exemple à la lecture du texte Les années qui a été publié en 2008. Et c’est tout récemment que j’ai découvert dans ce texte le lien entre la vie de l’écrivaine et l’écriture.

Quelques passages de ce texte dans les premières pages :

« Toutes les images disparaîtront. »

« S’annuleront subitement les milliers de mots qui ont servi à nommer les choses, les visages des gens et les sentiments, ordonné le monde, faire battre le coeur et mouiller le sexe. »

« La photo en noir et blanc d’une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. »

Se pourrait-il que cette photo soit celle dont il est mention dans le texte que je viens de citer? Cette photo se retrouve à la page 22 de l’édition Quarto Écrire la vie. Il y a bien les falaises que l’on peut deviner et la légende de la photo se lit comme suit : Sur la plage de Sotteville-sur-mer en 1949.

Et le texte se poursuit ainsi :

« Les cuisses plus claires , ainsi que le haut des bras, dessinent la forme d’une robe et indiquent le caractère exceptionnel, pour cette enfant, d’un séjour ou d’une sortie à la mer. La plage est déserte. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-mer. »

« Elle va avoir neuf ans. Elle est en vacances avec sont père chez un oncle et une tante, des artisans qui fabriquent des cordes. Sa mère est restée à Yvetot, tenir le café-épicerie qui ne ferme jamais.

Quelques citations qui peuvent aider à apprécier l’oeuvre d’Annie Ernaux.

« Ce qui assemble les phrases de mes livres, en choisit les mots, c’est mon désir, et je ne peux l’apprendre aux autres puisqu’il m’échappe à moi-même. »

« Et puis, pour vivre vraiment les choses, j’ai besoin de les revivre. Venise, où je suis allée une douzaine de fois, suscite des pages et des pages – dans mon journal intime seulement. » 

Le passage qui suit et vraiment important. Annie Ernaux évoque son journal intime et le texte qui en sortira des années après l’événement : 

« J’ai publié seulement deux journaux intimes, « Je ne suis pas sortie de ma nuit » et Se perdre, l’un et l’autre rédigés auparavant et dont le contenu, la période vécue auparavant et déjà fait l’objet d’un récit autobiographie, respectivement Une femme et Passion simple. De ces deux circonstances – le délai de dix ans et l’existence d’un livre – la seconde est la principale, c’est elle qui motive la publication. Sans doute, le délai est important : c’est lui qui permet de jeter sur le journal un regard froid objectif, froid, de considérer le « je » comme un autre… »

« Il n’est pas question de prendre telles quelles les images, les paroles, de les décrire ou de les citer. Je dois les « halluciner » les relâcher (comme ke l’explique dans le début de L’Événement, qui est le texte où je vais le plus au fond de mon travail d’écriture. »

« Les photos, elles, me fascinent, elles sont tellement le temps à l’état pur. Je pourrais rester des heures devant une photo, comme devant une énigme. »

« Mais, c’est un point capital, selon les supports, selon le type de journal, je n’écris jamais de la même manière sur des sujets identiques. 

« Mais en cherchant la manière la plus juste, correspondant à ce que je sens, pour « traiter mon sujet », j’ai été amenée de plus en plus à chercher des formes nouvelles, surtout à partir de La place. »

Deux images pour compléter cet article :

Cette première image est une photographie des pages 54 et 55 de mon exemplaire du roman Écrire la vie. Observer cette image et les mots : « …pense à l’écrivain que tu es, revenant à Rouen…. je. ne pense pas que je pourrais, par exemple, avoir un grand prix international, voire le Goncourt, qui m’indiffère de toute façon. Ce que je désire est impossible, c’est revivre les choses. »

Ce grand prix international c’est le. prix Nobel de littérature 2022 qui lui a été décerné.

Elle emploie les mots revivre les choses…

Je ne peux résister à la tentation de citer deux passages de son dernier roman paru en 2022, Le jeune homme :

« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. »

« Souvent j’ai fait l’amour pour m’obliger à écrire. Je voulais trouver dans la fatigue, la déréliction qui suit, des raisons de ne plus rien attendre de la vie. J’espérais que la fin de l’attente la plus violent qui soit, celle de jouir me fasse éprouver la certitude qu’il n’y avait pas de jouissance supérieure à celle de l’écriture d’un livre. C’est peut-être ce désir de déclencher l’écriture d’un livre – que j’hésitais à entreprendre à cause de son ampleur – qui m’avait poussée à emmener A. chez moi boire un verre après un dîner au restaurant où, de timidité, il était resté quasiment muet. Il avait presque trente ans de moins que moi. »

J’ai souligné dans mon article que j’ai passablement pris de notes en lisant Écrire la vie. L’image qui suit en est en quelque sorte la preuve…

Le but de cet article était de faire découvrir au lecteur l’oeuvre d’Annie Ernaux et de lui donner le goût de lire ses merveilleux récits. J’espère avoir atteint mon but et n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cet article.

Adresse mail : yarorb7239@gmail.com

3 réflexions au sujet de « Annie Ernaux, prix Nobel de Littérature 2022 »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s