
C’est bien une image de la lettre que j’ai reçue de Paul Auster en novembre 1991. Quelque peu difficile à lire et je vous en copie quelques passages avant de vous expliquer ce qui m’a valu cette lettre.
«Dear Mr. Benoit,
Thanks you so much for your very kind letter. I was very moved, touched to learn that my books have been important to you.
I have had a chance to listen to the tape of your radios’s broadcast – and was very impressed. You obviously read with great care and attention. »
Je me permets de traduire ces quelques mots …
«Cher M. Benoit,
Merci beaucoup pour votre gentille lettre. J’ai été beaucoup ému, touché d’apprendre que mes livres ont été importants pour vous.
J’ai eu la chance d’écouter la cassette de votre émission de radio et j’en fus impressionné. Vous avez évidemment lu avec beaucoup de soin et d’attention.
Cette lettre est une réponse à celle que j’avais envoyée à l’écrivain le 14 octobre 1991. J’ai gardé une copie de cette lettre et quand j’ai voulu la numériser, pour en parler dans cet article, j’ai réalisé qu’on était le 14 octobre 2022. Un peu le hasard et je vais beaucoup en parler dans les lignes qui vont suivre car le titre du roman dont il est question a pour titre La Musique du hasard. Dans cette lettre je lui parlais de. trois de ses textes que j’avais aimés en plus de lui dire ma surprise à la lecture du roman The Music of chance paru en 1988.
Une parenthèse importante et vous comprendrez le tout à la fin de mon article.

Je permets pour l’instant d’ouvrir une parenthèse pour vous raconter comment j’ai découvert l’oeuvre de l’écrivain. Ce sera peut-être un peu long et cette parenthèse vous permettra de comprendre pourquoi j’apprécie à ce point l’oeuvre de l’écrivain.
J’ai découvert Paul Auster au moment de la sortie de son premier livre, L’invention de la solitude, livre paru en France en 1988. J’ai été ébloui par les premières lignes du livre :
« Un jour il y a la vie. Voici un homme en parfaite santé, pas vieux, jamais malade. Tout va pour lui comme il en fut toujours, comme il en ira toujours. Il vit au quotidien s’occupe de ses affaires et ne rêve qu’aux réalités qui se présentent à lui. Et puis, d’un seul coup, la mort. Notre homme laisse échapper un petit sourire, s’affaisse dans son fauteuil et c’est la mort. »
Ce sont là les deux premières phrases du livre de l’écrivain. Quelques précisions pour comprendre mon éblouissement dont j’ai parlé en lien avec ces lignes. J’ai fait des études classiques et en 1957 j’en étais à l’avant-dernière année de ce cours classique. J’avais 18 ans le 13 octobre quand un oncle est venu au collège pour nous annoncer à mes deux frères et moi la mort de notre père qui avait eu 50 ans le 20 mai 1957. Le 13 octobre était un dimanche en 1957 et le 29 septembre était aussi un dimanche et c’est aussi la date de mon anniversaire de naissance. J’étais jeune et je ne connaissais pas vraiment l’état de santé de mon père… Je lis à la deuxième page de mon édition de L’Invention de la solitude :
« J’ai appris la mort de mon père voici trois semaines. C’était un dimanche. »
Vous pouvez comprendre ma surprise à la lecture de ce livre quelques trente ans plus tard. Ainsi a débuté mon appréciation de l’oeuvre de cet écrivain. J’ai lu beaucoup de livres de son oeuvre et je me limite à vous raconter ce qui s’est produit au moment de la lecture du roman La Musique du hasard paru en français en 1991. Pour bien apprécier le sens de ce roman il faut savoir que le titre original est The Music of chance. Après la lecture de ce roman un copain de mon fils qui étudiait à l’Université de Montréal m’a demandé si je voulais faire une émission de radio pour la radio étudiante. Dans les dernières lignes du roman un accident d’auto se produit au moment où à la radio dans la voiture on entendait un quatuor à cordes de Mozart ou de Haydn. Pour cette émission de radio d’une durée de 60 minutes on avait une séquence de 4 blocs avec du texte durant 12 minutes et de la musique pour les trois autres minutes. J’avais choisi un quatuor à cordes pour un des blocs…
J’ai trouvé l’adresse de Paul Auster et je lui ai envoyé une lettre écrite en français car je savais que l’écrivain avait vécu en France pour étudier la poésie française. Et en novembre 1991, j’ai reçu une lettre de l’écrivain.
Il faut bien parler du hasard ou de la chance et j’écris ce texte le 14 octobre 2022… car je veux publier un article sur mon blogue et j’ai réalisé en numérisant une copie de la lettre que j’avais envoyée à l’écrivain que cette dernière a été écrite aussi un 14 octobre mais en 1991. Et oui 41 années plus tard…

Ce premier roman de Paul Auster est un livre important dans son oeuvre. Dans un court texte, à la fin du roman de mon édition Babel, l’écrivain Pascal Bruckner écrit ceci :
« L’invention de la solitude constitue à la fois l’art poétique et l’ouvrage fondateur de Paul Auster. Qui veut le comprendre doit partir de là et tous les autres livres le ramènent à celui-ci. »
La première partie du roman a pour titre : Portrait d’un homme invisible et l’écrivain veut découvrir qui était cet homme qu’il ne connaissait pas. Quelques mots que l’écrivain emploie pour évoquer son père :
« Pendant quinze ans il avait vécu seul. »
« La maison n’était qu’en des nombreuses haltes qui jalonnaient une existence agitée et sans attaches, et cette absence d’épicentre avait fait de lui un perpétuel outsider, un touriste dans sa propre existence. »

Quelques passages de cette lettre :
«J’ai abordé votre roman La Musique du hasard et c’est à la suite de cette émission que j’ai décidé de vous écrire cette lettre. Je me permets de vous faire parvenir la cassette de cette émission bien que je sois conscient des nombreuses imperfections : l’animateur n’avait pas lu votre roman et l’émission est enregistrée en direct. De plus le bloc de 10 minutes avec arrêt et pause musicale constitue une contrainte qu’il est difficile de contourner. C’est encore une fois le thème du hasard qui m’a incité à vous faire parvenir cet enregistrement. J’avais proposé comme pièce musicale lors d’une première émission où j’avais abordé l’ensemble de votre oeuvre romanesque, l’un des 6 quatuors à cordes de Mozart dédiés à Haydn. J’avais proposé le premier mouvement du K 465 et je suggérais que le tempo lent du début de ce mouvement convenait bien à l’atmosphère de vos romans. Je n’avais pas lu à ce moment The Music of Chance. Vous comprendrez ma surprise à la fin de ce roman quand Jim tente de retrouver l’auteur d’un quatuor à cordes.»
Je veux maintenant aborder ce magnifique roman que je viens de relire pour écrire mon article. Le titre français vous le savez est La musique du hasard. Je vous parle dans un premier temps du hasard et ensuite de la musique.
Le hasard
Débutons par la quatrième de couverture de l’édition Actes Sud du roman. Il vous sera ainsi possible de comprendre le point de départ du roman :
«Nashe, qui a hérité de deux cent mille dollars, se débarrasse de ce qu’il possède, achète une voiture et entreprend de sillonner l’Amérique. Ainsi rencontre-t-il Pozzi, professionnel du poker, avec qui il décide de miser le restant de sa fortune dans une partie « facile » contre deux millionnaires excentriques, Flower et Stone. Et le plus extravagant commence alors...»
Pozzi est un professionnel du poker et l’on sait que le hasard est un facteur important dans une partie de poker. De plus, c’est le hasard qui est à l’origine de cette rencontre entre Nashe, le héros du roman et le joueur de poker. Nashe fait l’une de ses balades et il voit un homme blessé sur la route et le fait entrer dans sa voiture. La dernière phrase du premier chapitre se lit comme suit :
«C’est ainsi que Jack Pozzi entra dans la vie de Nashe. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est ainsi que toute l’affaire commença, un beau matin, à la fin de l’été.»
Nashe a occupé plusieurs métiers mais il a été pompier pendant sept ans. Encore là, le hasard :
«Après avoir interrompu ses études (…) s’était présenté à l’examen d’admission au cours des pompiers qu’un peu par hasard, à cause d’un type rencontré un soir dans son taxi, qui s’y préparait et l’avait persuadé d’essayer aussi.»
Jim Nashe rencontre une femme Fiona Wells dont il s’éprend et voici dans quelles circonstances se fait cette rencontre. Nashe veut acheter des cadeaux à sa fille qu’il a laissée avec sa soeur :
«Moins d’un moins plus tard, une deuxième porte s’ouvrit à l’improviste devant lui. C’était à Berkeley, en Californie, et de même que la plupart des événements survenus dans sa vie cette année-là, cela tint du hasard le plus pur. Étant entré dans une librairie, une après-midi, afin d’acheter des livres pour la prochaine étape de son voyage, il rencontra, tout simplement, une femme qu’il avait jadis connue à Boston.»
Dans ce même chapitre, il va au champ de courses à Saratoga. Il parie sur des chevaux de courses en se disant :
«Il avait la certitude que la chance lui sourirait, mais à part quelques succès étourdissants dans des coups à grands risques, ses pertes l’emportèrent sur se gains…»
La musique
Plus on avance dans ce roman plus on peut se questionner sur le sens du titre de ce roman. Évidemment on retrouve quelques passages dans le premier chapitre du roman évoquant la musique. Nashe abandonne tout ce qui se trouve dans sa maison avant son départ. Il se dit que son piano doit disparaître et il dit que c’est un problème un peu plus difficile car il pratiquait le piano quelques heures par semaine. En évoquant la musique il mentionne :
«Cela ne manquait jamais d’exercer sur lui un effet calmant, comme si la musique l’avait aidé à distinguer plus clairement les choses, à comprendre sa place dans l’ordre invisible de l’univers.»
Dans le même chapitre il parle du fardeau de la vie et le rôle de la musique :
«Peut-être la musique y était-elle pour quelque chose, les enregistrements de Bach, de Mozart et de Verdi qu’il écoutait interminablement lorsqu’il se trouvait au volant, comme si les sons avaient en quelque sorte émané de lui pour imprégner le paysage, transformant le monde visible en un reflet de ses propres pensées. Au bout de trois ou quatre mois, il lui suffisait de s’asseoir dans sa voiture pour se sentir libéré de son corps, sachant qu’aussitôt qu’il aurait posé le pied sur l’accélérateur et commencé à rouler la musique l’emporterait dans un monde d’apesanteur.»
Une courte remarque au moment où Nashe et Pozzi se présentent chez les deux millionnaires :
«Le carillon de la porte d’entrée fit retentir les premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven.»
La musique prend beaucoup d’importance dans le dernier chapitre du roman. Pour bien comprendre, il faut donner les grandes lignes du récit. Tout s’organise dans un premier temps avec cette partie de cartes avec les deux millionnaires. Malheureusement tout ne va pas comme l’avait prédit Pozzi. Nashe et le professionnel de poker devraient rembourser l’argent qu’ils n’ont plus. Les deux millionnaires saisissent la voiture Saab et Nashe mais ce n’est pas suffisant. Nos deux millionnaires qui avaient gagné un très gros lot à la loterie ont rapporté d’Écosse un château abandonné. Ils ont en fait rapporté les 10 000 pierres de ce château et ils exigent que les deux hommes construisent un mur de 600 mètres de long dans un terrain qui leur appartient mais qui ne mesure que 500 mètres de long. Le mur sera construit en diagonale. Un employé de Flower et Stone surveillent les travaux. Je vous épargne les détails, mais quand les travaux sont terminés Nashe quitte le domaine avec le surveillant et son gendre pour aller prendre un verre en ville… Inutile de dire que Stone n’apprécie pas trop ce que les deux ont enduré durant la construction de ce mur. Dans le bar où les trois se retrouvent, Floyd, le gendre joue une partie de billard avec Stone et perd 50 $. Nashe ne veut pas de l’argent, mais il accepte pour le retour au domaine de conduire la Saab qui a été donnée au surveillant des travaux Murks.
Vous voulez savoir comment tout se termine… Je vous cite quelques passages du roman dont l’un au début du quatrième chapitre et les derniers, tirés du dernier chapitre du roman :
« Une ou deux fois, il ne mangea rien du tout et resta assis dans le salon devant une bouteille de bourbon jusqu’à l’heure d’aller se coucher, écoutant le Requiem de Mozart ou celui de Verdi avec le son au maximum, pleurant de vraies larmes au coeur de cette tempête de musique, se remémorant le gosse à travers le souffle impétueux des voix humaines comme s’il n’avait été qu’un peu de terre, une fragile motte de. Terre en train de s’éparpiller, de redevenir la poussière dont elle était née. »
Murks, son gendre Floyd et Nashe sortent du bar et la neige tombe. C’est donc Nashe qui conduit son ancienne voiture.
« Il avait mis la radio sur un poste classique, et il reconnaissait la musique comme une chose familière, un morceau qu’il avait écouté souvent dans le passé. (…) Il aurait pu s’agir de l’un des quatuors à cordes dédiés à Haydn par Mozart, pensait Nashe… »
« La musique avait repoussé Murks et Floyd à l’arrière-plan et il n’avait plus conscience de rien que des quatre instruments à cordes déversant leurs sonorités dans cet espace clos et obscur. »
« Au moment précis où la voiture atteignait cent trente-six kilomètres à l’heure, Murks se pencha et coupa la radio. Le silence soudain fit à Nashe l’effet d’une secousse. »
« Et puis la lumière fut sur lui et Nashe incapable de la soutenir, ferma les yeux. »
Ainsi se termine le roman de Paul Auster qui a pour titre La Musique du hasard.

Mon objectif principal en publiant cet article était de faire connaître à tout lecteur l’oeuvre de Paul Auster et lui donner le goût de plonger dans son oeuvre. J’ai lu plusieurs articles de cet auteur. En préparant mon article, j’ai fouillé le Net cherchant quel serait le premier choix pour un nouveau lecteur parmi les romans de Paul Auster. Le premier titre proposé est La Musique du hasard et le second, Moon Palace. On peut aussi reprendre les mots de Pascal Bruckner dont j’ai déjà parlé :
«L’Invention de la solitude constitue à la fois l’art poétique et l’ouvrage fondateur de Paul Auster. Qui veut le comprendre doit partir de là et tous ses autres livres ramènent à celui-ci.»
Ce serait aussi un bon choix pour aborder l’oeuvre de l’écrivain. Une autre piste. Je relis actuellement le troisième roman de la trilogie new-yorkaise dont le titre est La chambre dérobée. Le personnage central de ce roman, Fanshawe, a disparu et sa femme fait appel au narrateur du roman pour retrouver son mari. Le narrateur est un ami du disparu et ils se connaissent depuis leur jeune enfance. On évoque des. souvenirs de leur jeunesse et on y retrouve ces mots : «Encore une fois c’était une pure question du hasard.» C’est aussi un bon premier choix pour apprendre à connaître Paul Auster.
Pour compléter mon article je vous présente une galerie de photos, des pages de couverture de plusieurs de ses romans…
Une galerie de photos de textes et de romans de Paul Auster…







Je n’ai lu qu’un roman de cet important écrivain mais je n’ai pas été conquise en raison justement du hasard. Je trouvais que c’était trop poussé (les événements, les rencontres, les destins). Mais bon. Je te trouve bien chanceux d’avoir reçu cette belle lettre de cet auteur et j’espère qu’elle est encadrée dans ton bureau! Au plaisir!
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