Une lettre de Paul Auster…

La lettre de Paul Auster

C’est bien une image de la lettre que j’ai reçue de Paul Auster en novembre 1991. Quelque peu difficile à lire et je vous en copie quelques passages avant de vous expliquer ce qui m’a valu cette lettre.

«Dear Mr. Benoit,

Thanks you so much for your very kind letter. I was very moved, touched to learn that my books have been important to you.

I have had a chance to listen to the tape of your radios’s broadcast – and was very impressed. You obviously read with great care and attention. »

Je me permets de traduire ces quelques mots …

«Cher M. Benoit,

Merci beaucoup pour votre gentille lettre. J’ai été beaucoup ému, touché d’apprendre que mes livres ont été importants pour vous.

J’ai eu la chance d’écouter la cassette de votre émission de radio et j’en fus impressionné. Vous avez évidemment lu avec beaucoup de soin et d’attention.

Cette lettre est une réponse à celle que j’avais envoyée à l’écrivain le 14 octobre 1991. J’ai gardé une copie de cette lettre et quand j’ai voulu la numériser, pour en parler dans cet article, j’ai réalisé qu’on était le 14 octobre 2022. Un peu le hasard et je vais beaucoup en parler dans les lignes qui vont suivre car le titre du roman dont il est question a pour titre La Musique du hasard. Dans cette lettre je lui parlais de. trois de ses textes que j’avais aimés en plus de lui dire ma surprise à la lecture du roman The Music of chance paru en 1988.

Une parenthèse importante et vous comprendrez le tout à la fin de mon article.

Je permets pour l’instant d’ouvrir une parenthèse pour vous raconter comment j’ai découvert l’oeuvre de l’écrivain. Ce sera peut-être un peu long et cette parenthèse vous permettra de comprendre pourquoi j’apprécie à ce point l’oeuvre de l’écrivain.

J’ai découvert Paul Auster au moment de la sortie de son premier livre, L’invention de la solitude, livre paru en France en 1988. J’ai été ébloui par les premières lignes du livre :

« Un jour il y a la vie. Voici un homme en parfaite santé, pas vieux, jamais malade. Tout va pour lui comme il en fut toujours, comme il en ira toujours. Il vit au quotidien s’occupe de ses affaires et ne rêve qu’aux réalités qui se présentent à lui. Et puis, d’un seul coup, la mort. Notre homme laisse échapper un petit sourire, s’affaisse dans son fauteuil et c’est la mort. »

Ce sont là les deux premières phrases du livre de l’écrivain. Quelques précisions pour comprendre mon éblouissement dont j’ai parlé en lien avec ces lignes. J’ai fait des études classiques et en 1957 j’en étais à l’avant-dernière année de ce cours classique. J’avais 18 ans le 13 octobre quand un oncle est venu au collège pour nous annoncer à mes deux frères et moi la mort de notre père qui avait eu 50 ans le 20 mai 1957. Le 13 octobre était un dimanche en 1957 et le 29 septembre était aussi un dimanche et c’est aussi la date de mon anniversaire de naissance. J’étais jeune et je ne connaissais pas vraiment l’état de santé de mon père… Je lis à la deuxième page de mon édition de L’Invention de la solitude : 

« J’ai appris la mort de mon père voici trois semaines. C’était un dimanche. »

Vous pouvez comprendre ma surprise à la lecture de ce livre quelques trente ans plus tard. Ainsi a débuté mon appréciation de l’oeuvre de cet écrivain. J’ai lu beaucoup de livres de son oeuvre et je me limite à vous raconter ce qui s’est produit au moment de la lecture du roman La Musique du hasard paru en français en 1991. Pour bien apprécier le sens de ce roman il faut savoir que le titre original est The Music of chance. Après la lecture de ce roman un copain de mon fils qui étudiait à l’Université de Montréal m’a demandé si je voulais faire une émission de radio pour la radio étudiante. Dans les dernières lignes du roman un accident d’auto se produit au moment où à la radio dans la voiture on entendait un quatuor à cordes de Mozart ou de Haydn. Pour cette émission de radio d’une durée de 60 minutes on avait une séquence de 4 blocs avec du texte durant 12 minutes et de la musique pour les trois autres minutes. J’avais choisi un quatuor à cordes pour un des blocs… 

J’ai trouvé l’adresse de Paul Auster et je lui ai envoyé une lettre écrite en français car je savais que l’écrivain avait vécu en France pour étudier la poésie française. Et en novembre 1991, j’ai reçu une lettre de l’écrivain. 

Il faut bien parler du hasard ou de la chance et j’écris ce texte le 14 octobre 2022… car je veux publier un article sur mon blogue et j’ai réalisé en numérisant une copie de la lettre que j’avais envoyée à l’écrivain que cette dernière a été écrite aussi un 14 octobre mais en 1991. Et oui 41 années plus tard…

Paul Auster publié chez Babel

Ce premier roman de Paul Auster est un livre important dans son oeuvre. Dans un court texte, à la fin du roman de mon édition Babel, l’écrivain Pascal Bruckner écrit ceci :

« L’invention de la solitude constitue à la fois l’art poétique et l’ouvrage fondateur de Paul Auster. Qui veut le comprendre doit partir de là et tous les autres livres le ramènent à celui-ci. »

La première partie du roman a pour titre : Portrait d’un homme invisible et l’écrivain veut découvrir qui était cet homme qu’il ne connaissait pas. Quelques mots que l’écrivain emploie pour évoquer son père :

« Pendant quinze ans il avait vécu seul. »

« La maison n’était qu’en des nombreuses haltes qui jalonnaient une existence agitée et sans attaches, et cette absence d’épicentre avait fait de lui un perpétuel outsider, un touriste dans sa propre existence. »

Première page de la lettre à Paul Auster

Quelques passages de cette lettre :

«J’ai abordé votre roman La Musique du hasard et c’est à la suite de cette émission que j’ai décidé de vous écrire cette lettre. Je me permets de vous faire parvenir la cassette de cette émission bien que je sois conscient des nombreuses imperfections : l’animateur n’avait pas lu votre roman et l’émission est enregistrée en direct. De plus le bloc de 10 minutes avec arrêt et pause musicale constitue une contrainte qu’il est difficile de contourner. C’est encore une fois le thème du hasard qui m’a incité à vous faire parvenir cet enregistrement. J’avais proposé comme pièce musicale lors d’une première émission où j’avais abordé l’ensemble de votre oeuvre romanesque, l’un des 6 quatuors à cordes de Mozart dédiés à Haydn. J’avais proposé le premier mouvement du K 465 et je suggérais que le tempo lent du début de ce mouvement convenait bien à l’atmosphère de vos romans. Je n’avais pas lu à ce moment The Music of Chance. Vous comprendrez ma surprise à la fin de ce roman quand Jim tente de retrouver l’auteur d’un quatuor à cordes.»

Je veux maintenant aborder ce magnifique roman que je viens de relire pour écrire mon article. Le titre français vous le savez est La musique du hasard. Je vous parle dans un premier temps du hasard et ensuite de la musique.

Le hasard

Débutons par la quatrième de couverture de l’édition Actes Sud du roman. Il vous sera ainsi possible de comprendre le point de départ du roman :

«Nashe, qui a hérité de deux cent mille dollars, se débarrasse de ce qu’il possède, achète une voiture et entreprend de sillonner l’Amérique. Ainsi rencontre-t-il Pozzi, professionnel du poker, avec qui il décide de miser le restant de sa fortune dans une partie « facile » contre deux millionnaires excentriques, Flower et Stone. Et le plus extravagant commence alors..

Pozzi est un professionnel du poker et l’on sait que le hasard est un facteur important dans une partie de poker. De plus, c’est le hasard qui est à l’origine de cette rencontre entre Nashe, le héros du roman et le joueur de poker. Nashe fait l’une de ses balades et il voit un homme blessé sur la route et le fait entrer dans sa voiture. La dernière phrase du premier chapitre se lit comme suit :

«C’est ainsi que Jack Pozzi entra dans la vie de Nashe. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est ainsi que toute l’affaire commença, un beau matin, à la fin de l’été.»

Nashe a occupé plusieurs métiers mais il a été pompier pendant sept ans. Encore là, le hasard :

«Après avoir interrompu ses études (…) s’était présenté à l’examen d’admission au cours des pompiers qu’un peu par hasard, à cause d’un type rencontré un soir dans son taxi, qui s’y préparait et l’avait persuadé d’essayer aussi.»

Jim Nashe rencontre une femme Fiona Wells dont il s’éprend et voici dans quelles circonstances se fait cette rencontre. Nashe veut acheter des cadeaux à sa fille qu’il a laissée avec sa soeur :

«Moins d’un moins plus tard, une deuxième porte s’ouvrit à l’improviste devant lui. C’était à Berkeley, en Californie, et de même que la plupart des événements survenus dans sa vie cette année-là, cela tint du hasard le plus pur. Étant entré dans une librairie, une après-midi, afin d’acheter des livres pour la prochaine étape de son voyage, il rencontra, tout simplement, une femme qu’il avait jadis connue à Boston.»

Dans ce même chapitre, il va au champ de courses à Saratoga. Il parie sur des chevaux de courses en se disant :

«Il avait la certitude que la chance lui sourirait, mais à part quelques succès étourdissants dans des coups à grands risques, ses pertes l’emportèrent sur se gains…»

La musique

Plus on avance dans ce roman plus on peut se questionner sur le sens du titre de ce roman. Évidemment on retrouve quelques passages dans le premier chapitre du roman évoquant la musique. Nashe abandonne tout ce qui se trouve dans sa maison avant son départ. Il se dit que son piano doit disparaître et il dit que c’est un problème un peu plus difficile car il pratiquait le piano quelques heures par semaine. En évoquant la musique il mentionne :

«Cela ne manquait jamais d’exercer sur lui un effet calmant, comme si la musique l’avait aidé à distinguer plus clairement les choses, à comprendre sa place dans l’ordre invisible de l’univers.»

Dans le même chapitre il parle du fardeau de la vie et le rôle de la musique :

«Peut-être la musique y était-elle pour quelque chose, les enregistrements de Bach, de Mozart et de Verdi qu’il écoutait interminablement lorsqu’il se trouvait au volant, comme si les sons avaient en quelque sorte émané de lui pour imprégner le paysage, transformant le monde visible en un reflet de ses propres pensées. Au bout de trois ou quatre mois, il lui suffisait de s’asseoir dans sa voiture pour se sentir libéré de son corps, sachant qu’aussitôt qu’il aurait posé le pied sur l’accélérateur et commencé à rouler la musique l’emporterait dans un monde d’apesanteur.»

Une courte remarque au moment où Nashe et Pozzi se présentent chez les deux millionnaires :

«Le carillon de la porte d’entrée fit retentir les premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven.»

La musique prend beaucoup d’importance dans le dernier chapitre du roman. Pour bien comprendre, il faut donner les grandes lignes du récit. Tout s’organise dans un premier temps avec cette partie de cartes avec les deux millionnaires. Malheureusement tout ne va pas comme l’avait prédit Pozzi. Nashe et le professionnel de poker devraient rembourser l’argent qu’ils n’ont plus. Les deux millionnaires saisissent la voiture Saab et Nashe mais ce n’est pas suffisant. Nos deux millionnaires qui avaient gagné un très gros lot à la loterie ont rapporté d’Écosse un château abandonné. Ils ont en fait rapporté les 10 000 pierres de ce château et ils exigent que les deux hommes construisent un mur de 600 mètres de long dans un terrain qui leur appartient mais qui ne mesure que 500 mètres de long. Le mur sera construit en diagonale. Un employé de Flower et Stone surveillent les travaux. Je vous épargne les détails, mais quand les travaux sont terminés Nashe quitte le domaine avec le surveillant et son gendre pour aller prendre un verre en ville… Inutile de dire que Stone n’apprécie pas trop ce que les deux ont enduré durant la construction de ce mur. Dans le bar où les trois se retrouvent, Floyd, le gendre joue une partie de billard avec Stone et perd 50 $. Nashe ne veut pas de l’argent, mais il accepte pour le retour au domaine de conduire la Saab qui a été donnée au surveillant des travaux Murks.

Vous voulez savoir comment tout se termine… Je vous cite quelques passages du roman dont l’un au début du quatrième chapitre et les derniers, tirés du dernier chapitre du roman :

« Une ou deux fois, il ne mangea rien du tout et resta assis dans le salon devant une bouteille de bourbon jusqu’à l’heure d’aller se coucher, écoutant le Requiem de Mozart ou celui de Verdi avec le son au maximum, pleurant de vraies larmes au coeur de cette tempête de musique, se remémorant le gosse à travers le souffle impétueux des voix humaines comme s’il n’avait été qu’un peu de terre, une fragile motte de. Terre en train de s’éparpiller, de  redevenir la poussière dont elle était née. »

Murks, son gendre Floyd et Nashe sortent du bar et la neige tombe. C’est donc Nashe qui conduit son ancienne voiture.

« Il avait mis la radio sur un poste classique, et il reconnaissait la musique comme une chose familière, un morceau qu’il avait écouté souvent dans le passé. (…) Il aurait pu s’agir de l’un des quatuors à cordes dédiés à Haydn par Mozart, pensait Nashe… »

« La musique avait repoussé Murks et Floyd à l’arrière-plan et il n’avait plus conscience de rien que des quatre instruments à cordes déversant leurs sonorités dans cet espace clos et obscur. »

« Au moment précis où la voiture atteignait cent trente-six kilomètres à l’heure, Murks se pencha et coupa la radio. Le silence soudain fit à Nashe l’effet d’une secousse. »

« Et puis la lumière fut sur lui et Nashe incapable de la soutenir, ferma les yeux. »

Ainsi se termine le roman de Paul Auster qui a pour titre La Musique du hasard.

Mon objectif principal en publiant cet article était de faire connaître à tout lecteur l’oeuvre de Paul Auster et lui donner le goût de plonger dans son oeuvre. J’ai lu plusieurs articles de cet auteur. En préparant mon article, j’ai fouillé le Net cherchant quel serait le premier choix pour un nouveau lecteur parmi les romans de Paul Auster. Le premier titre proposé est La Musique du hasard et le second, Moon Palace. On peut aussi reprendre les mots de Pascal Bruckner dont j’ai déjà parlé :

«L’Invention de la solitude constitue à la fois l’art poétique et l’ouvrage fondateur de Paul Auster. Qui veut le comprendre doit partir de là et tous ses autres livres ramènent à celui-ci.»

Ce serait aussi un bon choix pour aborder l’oeuvre de l’écrivain. Une autre piste. Je relis actuellement le troisième roman de la trilogie new-yorkaise dont le titre est La chambre dérobée. Le personnage central de ce roman, Fanshawe, a disparu et sa femme fait appel au narrateur du roman pour retrouver son mari. Le narrateur est un ami du disparu et ils se connaissent depuis leur jeune enfance. On évoque des. souvenirs de leur jeunesse et on y retrouve ces mots : «Encore une fois c’était une pure question du hasard.» C’est aussi un bon premier choix pour apprendre à connaître Paul Auster.

Pour compléter mon article je vous présente une galerie de photos, des pages de couverture de plusieurs de ses romans…

Une galerie de photos de textes et de romans de Paul Auster…

N’hésitez à m’écrire à mon mail : yarorb7239@gmail.com

Annie Ernaux, prix Nobel de Littérature 2022

Annie Ernaux est une écrivaine que j’apprécie beaucoup. J’aime la variété des styles que l’on retrouve dans ses écrits : Journal intime, récits romanesques, textes autobiographiques.

C’est une amie, Hélène C., qui m’a parlé de cette écrivaine lors d’une discussion sur les écrivaines que nous aimions particulièrement. Je parlais de Proust et elle m’a suggéré de lire les textes d’Annie Ernaux. J’ai tellement aimé son oeuvre que j’ai écrit plusieurs pages de textes au moment de mes lectures. Je fouille mon dossier consacré à l’écrivaine et je découvre que ces notes ont été écrites en 2012, en 2013 et en 2016. Je me permettrai de placer dans mon article quelques unes des pages que j’apprécie et qui me semblent importantes pour le but de cet article qui est de vous faire découvrir Annie Ernaux et de vous donner le goût de découvrir son oeuvre.

J’estime que la meilleure façon d’aborder est de consulter le livre Écrire la vie, de l’édition Quarto, publiée chez Gallimard.

Les volumes de cette collection sont habituellement consacrés à des auteurs décédés et cette édition est une exception. On y retrouve des textes importants de l’écrivaine et les écrits sont précédés de 100 pages de photos personnelles accompagnées d’extraits du Journal intime inédit comme on peut le lire en quatrième de couverture. Je me permettrai de vous voir quelques images de tirées de ces 100 pages.

Deux citations que l’on retrouve en quatrième de couverture :

« Écrire n’est pas pour moi un substitut de l’amour, mais quelque chose de plus que l’amour ou la vie. » 15 janvier 1963

« Cette sensation terrible, toujours, d’être à la recherche de l’écriture « inconnue », comme cela m’arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois le temps passer, nécessité d’écrire contre le temps, la vieillesse. » 3 août 1990

Et la plus longue citation de cette quatrième de couverture qui explique toute l’importance du titre et le sens de l’oeuvre de l’écrivaine :

« Écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil. Je n’ai cherché à m’écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me suis servie d’elle, des événements, généralement ordinaires qui l’ont traversée, des situations et des sentiments, généralement qu’il m’a été donné de connaître, comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre à jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible. » juillet 2011

Littérature et vie

Qui a lu le moindrement les textes d’Annie Ernaux, réalise que ce thème – je ne sais trop si ce sont les meilleurs mots – est vraiment important. La littérature et la vie, il me semble que dans son oeuvre c’est quelque chose qu’il est  bien difficile de ne pas les relier. Un premier court passage :

« Je n’aime réellement qu’écrire, parce que c’est retenir la vie. »

Je veux aborder ce thème en reprenant un article que j’ai écrit en 2016.

Une préparation pour l’émission de deux heures consacrée à Annie Ernaux

Je voulais relire Mémoire de fille d’Annie Ernaux, une façon comme une autre, après avoir fouillé les deux textes Passion simple et Se perdre, relire,  pour tenter de connaître davantage l’univers de l’écrivaine.

C’était donc une préparation pour cette émission que j’ai vraiment hâte de voir dimanche prochain.

Je retiens spécialement la difficulté que fut la sienne d’écrire ce livre. Il est paru en 2016 et on peut lire des passages du moment de l’écriture en 2014. Elle y raconte l’histoire d’une jeune fille de 18 ans qui devient monitrice dans un camp de vacances et sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. 

Un livre qu’il lui est difficile d’écrire. La quatrième de couverture le confirme dans le premier paragraphe où l’on peut lire :

« J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.

On retrouve souvent dans l’oeuvre de l’écrivaine cette distanciation entre les événements et le moment de l’écriture. Il en est ainsi avec Passion simple et Se perdre. C’est vraiment significatif pour ce dernier titre. Elle a tenu un journal intime pour décrire cette aventure avec un diplomate russe qui a débuté en 1988, et Se perdre a été publié en 2001.

Un long passage significatif qui fait bien ressortir cette façon de faire de l’écrivaine à la page 57 de Mémoire de fille :

« Dans cette hypothèse, je considère la fille de S avec le regard d’aujourd’hui ou, hormis l’inceste et le viol, rien de sexuel n’est condamnable, où je lis sur Internet « Vanessa va rejoindre un hôtel échangiste pour ses vacances ». Ou alors adopter le point de vue de la société française de 1958 qui faisait tenir toute la valeur d’une fille dans sa « conduite », et dire que cette fille a été pitoyable d’inconscience et de candeur, de naïveté, lui faire porter la responsabilité de tout? Devrais-je alterner constamment l’une et l’autre vision historique – 1958/2014? Je rêve d’une phrase qui les contiendrait toutes les deux , ans heurt, simplement par le jeu d’une nouvelle syntaxe. »

La vie n’a pas toujours été facile pour Annie Ernaux. Ce qui s’est passé en 1958 a eu lieu dès le début de son séjour à la colonie. On s’est moqué d’elle tout au long de son séjour à ce camp. Il y aura aussi cet avortement clandestin en 1964. 

En écrivant ce texte 56 ans après ce camp de vacances elle tient les propos suivants à la page 56 du roman :

« Au fur et à mesure que j’avance, la sorte de simplicité antérieure du récit déposé dans ma mémoire disparaît. Aller jusqu’au bout de 1958, c’est accepter la pulvérisation des interprétations accumulées au cours des années. Ne rien lisser. Je ne construis pas un personnage de fiction. Je déconstruis la fille que j’ai été. 

Mais la vie continue et en 1958-1959, elle suit son année de philo au couvent d’Ermemont, à Rouen. Le premier passage de la page 80 de Mémoire de fille :

Mais la vie continue et en 1958-1959, elle suit son année de philo au couvent d’Ermemont, à Rouen. Le premier passage de la page 80 de Mémoire de fille :

« C’est une photo carrée de cinq à six centimètres à bords dentelés en noir et blanc. De droite à gauche, on voit, alignés contre une cloison à lattes verticales, un lit à barreaux de métal et tout contre, une petite table rectangulaire en bois avec un tiroir. »

En lisant ce texte je me suis dis j’ai déjà vu cette photo et elle se retrouve en effet à la page 45 de l’édition Quarto de Gallimard. 

Si vous regardez attentivement notez bien ces mots :

« Toute la tristesse jamais effacée de 58, l’horreur de vivre. Penser à cela maintenant, c’est le trou. L’indicible de ce temps, effleuré dans « Ce qu’ils disent ou rien », mais est-ce que je pourrais le dire en lui-même? Plutôt dans une suite d’images, dans le récit d’une vie, la mienne – et pas la mienne -. Douleur perpétuelle de Rouen, du retour a Rouen. » Octobre 1994

Cette date doit correspondre à un passage de son journal. Une fois de plus à cette date, elle revient à cet événement de 1958. Et je complète avec ce premier paragraphe de Mémoire de fille.

« Si j’accepte de mettre en doute la fiabilité de ma mémoire, même la plus implacable, pour atteindre la réalité passée, il n’en demeure pas moins ceci : c’est dans les effets sur mon corps que je sais la réalité qui a été vécue à S. »

Un autre exemple à la lecture du texte Les années qui a été publié en 2008. Et c’est tout récemment que j’ai découvert dans ce texte le lien entre la vie de l’écrivaine et l’écriture.

Quelques passages de ce texte dans les premières pages :

« Toutes les images disparaîtront. »

« S’annuleront subitement les milliers de mots qui ont servi à nommer les choses, les visages des gens et les sentiments, ordonné le monde, faire battre le coeur et mouiller le sexe. »

« La photo en noir et blanc d’une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. »

Se pourrait-il que cette photo soit celle dont il est mention dans le texte que je viens de citer? Cette photo se retrouve à la page 22 de l’édition Quarto Écrire la vie. Il y a bien les falaises que l’on peut deviner et la légende de la photo se lit comme suit : Sur la plage de Sotteville-sur-mer en 1949.

Et le texte se poursuit ainsi :

« Les cuisses plus claires , ainsi que le haut des bras, dessinent la forme d’une robe et indiquent le caractère exceptionnel, pour cette enfant, d’un séjour ou d’une sortie à la mer. La plage est déserte. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-mer. »

« Elle va avoir neuf ans. Elle est en vacances avec sont père chez un oncle et une tante, des artisans qui fabriquent des cordes. Sa mère est restée à Yvetot, tenir le café-épicerie qui ne ferme jamais.

Quelques citations qui peuvent aider à apprécier l’oeuvre d’Annie Ernaux.

« Ce qui assemble les phrases de mes livres, en choisit les mots, c’est mon désir, et je ne peux l’apprendre aux autres puisqu’il m’échappe à moi-même. »

« Et puis, pour vivre vraiment les choses, j’ai besoin de les revivre. Venise, où je suis allée une douzaine de fois, suscite des pages et des pages – dans mon journal intime seulement. » 

Le passage qui suit et vraiment important. Annie Ernaux évoque son journal intime et le texte qui en sortira des années après l’événement : 

« J’ai publié seulement deux journaux intimes, « Je ne suis pas sortie de ma nuit » et Se perdre, l’un et l’autre rédigés auparavant et dont le contenu, la période vécue auparavant et déjà fait l’objet d’un récit autobiographie, respectivement Une femme et Passion simple. De ces deux circonstances – le délai de dix ans et l’existence d’un livre – la seconde est la principale, c’est elle qui motive la publication. Sans doute, le délai est important : c’est lui qui permet de jeter sur le journal un regard froid objectif, froid, de considérer le « je » comme un autre… »

« Il n’est pas question de prendre telles quelles les images, les paroles, de les décrire ou de les citer. Je dois les « halluciner » les relâcher (comme ke l’explique dans le début de L’Événement, qui est le texte où je vais le plus au fond de mon travail d’écriture. »

« Les photos, elles, me fascinent, elles sont tellement le temps à l’état pur. Je pourrais rester des heures devant une photo, comme devant une énigme. »

« Mais, c’est un point capital, selon les supports, selon le type de journal, je n’écris jamais de la même manière sur des sujets identiques. 

« Mais en cherchant la manière la plus juste, correspondant à ce que je sens, pour « traiter mon sujet », j’ai été amenée de plus en plus à chercher des formes nouvelles, surtout à partir de La place. »

Deux images pour compléter cet article :

Cette première image est une photographie des pages 54 et 55 de mon exemplaire du roman Écrire la vie. Observer cette image et les mots : « …pense à l’écrivain que tu es, revenant à Rouen…. je. ne pense pas que je pourrais, par exemple, avoir un grand prix international, voire le Goncourt, qui m’indiffère de toute façon. Ce que je désire est impossible, c’est revivre les choses. »

Ce grand prix international c’est le. prix Nobel de littérature 2022 qui lui a été décerné.

Elle emploie les mots revivre les choses…

Je ne peux résister à la tentation de citer deux passages de son dernier roman paru en 2022, Le jeune homme :

« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. »

« Souvent j’ai fait l’amour pour m’obliger à écrire. Je voulais trouver dans la fatigue, la déréliction qui suit, des raisons de ne plus rien attendre de la vie. J’espérais que la fin de l’attente la plus violent qui soit, celle de jouir me fasse éprouver la certitude qu’il n’y avait pas de jouissance supérieure à celle de l’écriture d’un livre. C’est peut-être ce désir de déclencher l’écriture d’un livre – que j’hésitais à entreprendre à cause de son ampleur – qui m’avait poussée à emmener A. chez moi boire un verre après un dîner au restaurant où, de timidité, il était resté quasiment muet. Il avait presque trente ans de moins que moi. »

J’ai souligné dans mon article que j’ai passablement pris de notes en lisant Écrire la vie. L’image qui suit en est en quelque sorte la preuve…

Le but de cet article était de faire découvrir au lecteur l’oeuvre d’Annie Ernaux et de lui donner le goût de lire ses merveilleux récits. J’espère avoir atteint mon but et n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cet article.

Adresse mail : yarorb7239@gmail.com

Pierre-Auguste Renoir

J’ai trouvé dans le volume L’Impressionnisme, publié chez Taschen sous la Direction Info F. Walther, ces quelques lignes qui font le lien entre Monet, le peintre auquel j’ai consacré un article sur mon blog. Au départ je prévoyais un article avec plusieurs artistes et j’ai finalement adopté une nouvelle formule. Le passage retenu est le suivant :

« C’est dans l’étudiée de la figure humaine que Renoir cherche  à appliquer les principes de l’impressionnisme ; dans son atelier de Montmartre, il peint quelques unes de ses toiles les plus célèbres, ainsi Le bal du Moulin de la Galette, La balançoire ou le Torse de la femme au soleil. »

Quelques pages plus loin on peut lire :

« Tant sur le plan personnel que par sa conception artistique, Renoir était particulièrement proche de Monet. Ce qui occupait le centre de son intérêt n’était pas le paysage, mais la figure humaine. Il vivait à Paris et allait souvent rendre visite à son ami à Argenteuil. »

« Ses tableaux lumineux et légers, qui émanent visiblement d’un monde réel observé attentivement à un moment donné, caractérisent le monde comme un lieu où l’harmonie et le bonheur sont possibles. Renoir recherchait toujours des modèles aux formes généreuses parmi les jeunes filles de son voisinage à Montmartre, filles qui travaillent souvent comme couturières. »

« La balançoire comme Le Bal du Moulin de la Galette déroute la critique par la dissolution des formes et la vibration coloriée : 

Les personnages dansent sur un sol pareil à ces nuages violacés qui obscurcissent le ciel un soir d’orage. Renoir excelle dans le portrait, genre qui va lui permettre de vivre ; en effet il est sollicité par de nombreux amateurs, ainsi Mme Charpentier, 1876, femme de Georges Charpentier, éditeur de Flaubert, Zola, Daudet, des Goncourt, dont il rend bien le caractère élégant et mondain, tandis que le portrait de Claude Monet témoigne des liens unissant les deux artistes.

C’est dans ce livre Comprendre la peinture au musée d’Orsay, livre que j’ai acheté en 2019 lors de notre passage à Paris que j’ai trouvé le passage cité.

Je souhaite que cet article va vous plaire et vous pouvez me faire un commentaire à l’adresse mail suivante : yarorb7239@gmail.com