Je veux une maison faite de sorties de secours


Ces mots sont le titre du livre de Claudia Larochelle consacré à Nelly Arcan. On peut lire en page couverture Réflexions sur la vie et l’oeuvre de Nelly Arcan. 


C’est de ce livre dont je veux parler dans cet article. Claudia et Nelly ont été de bonnes amies et Claudia a fait aussi appel à d’autres personnes qui évoquent leurs liens avec l’auteure de Putain.


Les mots de ce titre sont des mots prononcés par Nelly Arcan. Au chapitre du livre Nelly aimait danser, on parle du projet de Manon Oligny de produire un spectacle de danse et elle demande à Nelly Arcan de collaborer au spectacle et elle a accepté.


Le spectacle avait pour titre L’Écurie et à la suite d’une représentation  en avril 2008, Nelly a écrit dans un article les propos suivants :


« Je n’ai plus d’yeux : ils sont tombés au fond de moi … j’ai les yeux redressés par dedans et je vois le monde des morts… (…) Je veux une maison faite de sorties de secours. » 


Dans le paragraphe qui précède les propos de Nelly, Claudia fait l’observation suivante :


« Tu appréciais beaucoup Manon. Ce que tu savais exprimer à l’écrit, elle le traduisait en faisant se mouvoir le corps de ses danseuses. »


Fait-il préciser que l’année suivante Nelly Arcan s’est suicidée.


J’aime beaucoup la littérature et particulièrement les romans. J’ai rencontré Claudia Larochelle à quelques occasions au Salon du livre de Montréal. Elle a dédicacé mon exemplaire de ce livre consacré à Nelly Arcan le 25 novembre 2015. On y lit les mots suivants :

Pour ce cher Robert,

Merci d’être aussi passionné par l’écriture de cette femme que j’estime. Des mots, bien humbles, comme des phares dans nos nuits.

Amitiés,

Claudia Larochelle.


Je me souviens qu’à l’un de ces salons pendant que je parlais avec elle, Claudia m’a dit de regarder la femme qui se déplaçait à quelques pas de nous. Elle m’a dit que c’était la mère de Nelly Arcan. L’écrivaine de Putain a écrit ces mots dans mon exemplaire de son livre : 

À Robert

en espérant 

que vous avez aimé – en y trouvant

une lumière 

malgré la noirceur.

Nelly Arcan


Je veux dans un premier temps citer deux passages de l’avant-propos de Claudia Larochelle :

« Ces textes que vous découvrirez deviendront, je l’espère, des portes ouvertes pour que l’écrivaine, et la femme puisse circuler à sa guise. »

« Voici donc pour vous le temps d’entrer dans la maison de Nelly Arcan. J’espère que ce livre inondera de clarté quelques zones d’ombres. »


J’ai relu ce livre que j’avais beaucoup aimé au moment de sa sortie en 2015. Le désir de reprendre ce livre m’est venu à la suite de la lecture du livre Les Disgracieuses de Claudia paru cette année.  En le relisant j’ai retenu certains passages des propos des personnes à qui Claudia a fait appel et qui viennent compléter ses propres propos. Chacune des citations qui suivent sont donc tirées du livre de Claudia Larochelle, sauf la dernière.


Danielle Laurin


Danielle Laurin est journaliste littéraire. Au moment de sa lecture du roman Putain elle écrit :


« J’étais éblouie, j’étais dégoutée. J’étais débordée. J’étais dans tous mes états, dans la perplexité absolue. C’était cru, c’était dur, souffrant. C’était détestable, haineux, C’était ambigu. »


Je retiens un passage d’une rencontre entre les deux femmes – Danielle Laurin et Nelly Arcan – et ce sont les mots de Nelly au moment de cette rencontre :


 Si je commençais à écrire pour plaire, comme je le faisais avec mon corps, ce serait l’échec de l’écriture pour moi. Parce que je serais aliénée, encore. Si je renonçais à ce qu’il y a d’authentique en moi, il n’y aurait plus d’écriture. »


Melikah Abdelmoumen


Cette femme est une écrivaine canadienne. Autrice et rédactrice en chef de Lettres québécoises. Ses propos dans le livre de Claudia :


«  De même, Nelly Arcan s’entêtait à répandre la mauvaise nouvelle, à montrer la vérité qui se cache derrière le mensonge, à dévoiler la « femme vulve » empoisonnée, celle qui tente de briser les barreaux de sa cage en vain – d’une part, parce que sa cage est la Société et, d’autre part, parce que l’on ne se libère pas aisément de chaînes dont presque personne ne consent à admettre l’existence, la réalité. »


Elsa Pépin


Journaliste, animatrice et auteure, Elsa Pépin a été recherchiste pour

les émissions littéraires de Radio-Canada.


¨J’ai rencontré quelques fois Nelly Arcan à titre de journaliste. Nous écrivions tous les deux pour le journal Ici et nous avions des amis en commun mais je ne la fréquentais pas. »


J’apprécie beaucoup les propos de cette écrivaine en lien avec le roman Putain.


« J’ai alors trouvé une oeuvre fascinante. La misère affective de la narratrice de Putain laisser deviner une fêlure très ancienne, antérieure au métier de prostituée. Sans action ni intrigue ce récit est la triste incantation austère et lancinante d’une prostituée de luxe qui raconte l’interminable procession des clients sur son corps. »


Pierre Thibeault


On dit de cet homme qu’il est un véritable touche-à-tout dans l’univers des communications.


« Je me rappelle avoir souligné l’extraordinaire souffle de Nelly Arcan, son écriture chatoyante, ondulante même, une écriture qui parvenait à transcender dans certaines pages tout le lugubre, toutes les ténèbres de la trame de son récit. Mais je n’avais pas apprécié son roman.» 


« Je me rappelle avoir souligné l’extraordinaire souffle de Nelly Arcan, son écriture chatoyante, ondulante même, une écriture qui parvenait à transcender dans certaines pages tout le lugubre, toutes les ténèbres de la trame de son récit. Mais je n’avais pas apprécié son roman.» 


Martine Delvaux


Martine Delvaux est écrivaine et professeure. Elle a publié des romans et des essais.


« …Nelly Arcan a écrit la honte d’être une femme. Elle raconte cette rougeur qui colle à la peau, le risque constant de se voir démasquée, accusée, condamnée, la peur que ça se délite, que ça dérape, que ça fuie… » 


Isabelle Boisclair


Isabelle Boisclair est professeur d’études littéraires et culturelles à l’Université de Sherbrooke.


« …dans Putain, rien n’est platement littéral. Le discours de la prostituée passe par le filtre d’une conscience – aigüe, mordante, lucide – émanant précisément de cette position singulière. Pour tout ça à mes yeux, ton Putain constitue une charge antipatriarcale .

« Aussi, à défaut d’avoir pu échanger avec toi de vive voix, je te lis. »

Et j’entends ta voix. »


Marie Brassard

Marie Brassard est directrice artistique de la compagnie Infrarouge. En 2013, à l’invitation de Sophie Cadieux et d’Espace Go, elle a mis en scène La fureur de ce que je pense.

Un témoignage intéressant que celui de cette femme : 

‘Je n’ai jamais rencontré ni même croisé Nelly Arcan et je ne connaissais rien d’elle dans la réalité. Dans le spectacle La fureur de ce que je pense, je ne voulais surtout pas chercher à la représenter elle-même ; je souhaitais que les femmes évoluant sur scène soient des créatures inventées, inspirées par ses écrits. »

« Nous avons très tôt trouvé le titre du spectacle La fureur de ce que je pense, fragment d’une phrase tirée de Putain qui nous semblait traduire l’esprit complexe et indompté de l’auteure. »

« L’idée était de développer six solos. (…) Chaque chant serait l’expression d’une obsession, d’une angoisse, d’un espoir récurrent dans la pensée et l’écriture de Nelly. »

Stanley Péan

Cet écrivain québécois ne se retrouve pas dans le livre de Claudia Larochelle. Par ailleurs il a écrit un article le 1 septembre 2001 au titre suivant : Nelly Arcan : Les hommes qui passent, maman. C’était une entrevue avec Nelly Arcan. Je veux donc citer quelques passages de ce texte, passages importants pour comprendre comme est né le roman Putain :


Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire Putain


Il y avait longtemps que j’avais envie d’écrire. J’ai écrit un peu au début de la vingtaine, mais rien de significatif. À 25 ans, cela faisait déjà quelques années que certaines choses maturaient en moi. J’ai alors décidé de me lancer dans une espèce de journal intime, d’abord pour mettre par écrit certaines idées et réflexions qui m’obsédaient, afin de les faire lire à un psychanalyste. J’ai rencontré un psy, Patrick Cady (NDLR: l’auteur de Quelques arpents de lecture: abécédaire romanesque québécois), qui a une sensibilité littéraire. Il a laissé l’analyse de côté parce qu’il a perçu la qualité de mon écriture, et m’a conseillé d’en faire un livre.


Ce livre, vous l’aviez donc amorcé à des fins d’auto-thérapie davantage que comme une oeuvre littéraire?


Mon premier but, le plus important, était l’écriture. La littérature a toujours plus importé pour moi, même si le prétexte de Putain était de résoudre certains problèmes personnels. En fait, mon réel désir était de me faire dire que j’étais écrivain plutôt que juste névrosée!

Conclusion

Le livre de Claudia Larochelle nous fait voir tellement de choses en lien avec la femme et l’écrivaine Nelly Arcan. Je retiens les contrastes suivants : écrivaine et femme, noirceur et lumière, écriture et danse…

Il va de soi que j’aime beaucoup les romans de Nelly Arcan. Je l’ai rencontrée à l’occasion d’une table-ronde à une librairie un dimanche 7 octobre et c’est à cette occasion qu’elle a écrit la dédicace que j’ai transcrite au début de mon article. 

Je note en terminant que les propos tenus par les personnes qui ont répondu à la demande de Claudia Larochelle sont variés et peuvent aller dans plusieurs directions. Lisez un ou deux romans de Nelly et faites votre choix.

Je vais compléter mon article avec quelques photos qui datent, comme vous pourrez le constater. Une ou deux sont tirées du document du livre de Claudia et d’autres sont des articles que j’avais lus et classés dans un Scrapbook, de la revue ICI.

Quelques photos…

La fureur de ce que je pense

Si vous observez attentivement cette capture d’écran vous pouvez lire sous la photo des deux femmes :

« C’est Marie Brassard que Sophie Cadieux a choisi pour mettre en scène ce spectacle pour sept actrices intitulé La fureur de ce que je pense.

La première phrase de l’article est la suivante :


« Sophie Cadieux tenait fortement à ce qu’il y ait au sein de sa résidence à l’Espace Go un spectacle inspiré par l’oeuvre de Nelly Arcan. »

‘Quand je tente de placer des mots sur le fait d’être femme aujourd’hui, ce sont tout naturellement ceux de Nelly Arcan qui me reviennent. C’est une auteure de ma génération qui a osé mettre le doigt sur une foule de sujets tabous. Je ressentais une envie très grande de faire entendre son écriture sur une scène.

L’idée était de développer six solos, un pour chaque actrice et un septième appelé Le chant perdu, qui allait être celui de la danseuse. Chaque chant serait l’expression d’une obsession, d’une angoisse, d’un espoir récurrent dans la pensée et l’écriture de Nelly. »

Un dernier commentaire de Sophie Cadieux :

« Nos intentions et nos réflexions nous ont amené à mettre l’accent sur son écriture, c’est-à-dire sur le plus important. Il en résulte un spectacle qui n’a rien de psychologique, ou de biographique, un représentation poétique qui s’inspire du sens profond de l’oeuvre.

Deux articles de Nelly dans la revue ICI

PSYCHANELLYSE et DAMN! VAN DAMME

Deux images d’articles publiés dans la revue ICI.

Je vous recopie deux extraits pour que vous puissiez remarquer Nelly ne manque pas. d’humour dans ces articles. Les extraits sont tirés de l’article à gauche;


« Un jour, j’ai voulu lui donner un coup de main en lui offrant un lapsus. Ils sont paraît-il,  un terrain fertile pour l’interprétation. En lui racontant comment une amie me faisait marcher, qui en gros me charriait, j’ai dit : Pousse, mais pousse anale. »


« Un autre jour, je lui ai demandé si elle avait déjà lu le célèbre ouvrage Père  manquant, fist fucking. Après un moment d’hésitation ( elle a bougé sur sa chaise et s’est raclé la gorge), instant bref où j’ai cru l’avoir secouée, elle m’a répondu avec le plus grand calme : Non. »

J’espère vraiment que vous avez aimé mon article. J’aime beaucoup l’oeuvre de Nelly Arcan et je voudrais que ceux qui lisent son oeuvre vont aimer cette écrivaine.

N’hésitez pas à me faire un commentaire et il me fera plaisir de vous lire et d’échanger avec vous.

Vous pouvez me joindre à l’adresse mail suivante : rbenoit001@sympatico.ca

2 réflexions au sujet de « Je veux une maison faite de sorties de secours »

  1. J’ai lu beaucoup de livres de Nelly Arcan et je la considère comme une écrivaine majeure de la littérature québécoise. Ton article lui rend un bel hommage, tout comme à Claudia Larochelle. Au plaisir!

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